Table en tôle d'acier réalisée spécialement pour l'exposition, de façon à associer en un même objet, l'anamorphose d'Eric et la sculpture de Goulven. Hauteur 75 Cm, longueur 150 Cm, Largeur 112 Cm.
Je vais essayer dans les lignes qui vont suivre d’expliciter
les rapports existant d’une part entre la forêt et le fer (qui est mon matériau
de prédilection) ; d’autre part entre la démarche photographique d’Eric
Pineau et ma façon d’appréhender la matière.
Le
bois et le fer
Un jour le feu embrasa la forêt et fit fondre la
pierre, enseignant ainsi à l’homme la métallurgie. Au cours des millénaires
l’homme perfectionna la technique et créa grâce au fer sa forêt imaginaire.
De
l’improbable accouplement du feu et de la pierre provoqué par la combustion du
bois, naquit le fer, maître de l’ombre et des ténèbres, instrument satanique de
la violence et de la mort, Depuis ce jour l’homme quelle que soit son
degrés d’évolution, son mode de vie, ses convictions politico-religieuses, n’a
cessé de l’opposer au bois, à l’arbre, à la forêt source de régénérescence
éternelle, symbole de douceur maternelle de puissance patriarcale, de respect
des ancêtres, de savoir infini. Est-ce l’humain
qui sur ces deux matériaux antagonistes projeta sa force et sa faiblesse, sa
violence et sa douceur, son instinct de mort et son instinct de vie ? Est ce
l’antagonisme de ces deux éléments qui au cours des âges façonna le caractère
de l’homme ? Lorsque le bois et le fer s’allient
dans la complicité ils forment des couples diaboliques : le manche de la hache,
du poignard, du marteau ou de la faux,
le pommeau de l’épée, la crosse du fusil ou du révolver.
Eric
et Goulven
Eric, c’est la politesse, la délicatesse à l’égard
de la lumière qu’il ne nous livre jamais de façon brutale et grossière, mais
toujours filtrée, distillée, épurée. Comme
le soleil qui descend se ressourcer dans
les ténèbres, Eric plonge son objectif au cœur de la forêt pour livrer à notre
regard la subtilité, la frivolité de la lumière. Il fait appel à une technique
archaïque, non par passéisme où nostalgie d’une autre époque, mais pour mieux
être en symbiose avec les éléments. C’est pour les mêmes raisons que j’utilise
l’outillage le plus rudimentaire possible et que je travaille presque toujours
à même le sol de manière à entrer en relation étroite avec la plaque de tôle qui est un matériau proche
de l’âme humaine. On peut la caresser, la flatter, provoquer en elle une
faiblesse, lui imposer une tension, une pression, la tordre, la blesser, la
réparer, la polir, la dépolir et en dernier recours la peindre pour cacher sa
vraie nature. La subtile technologie dont est issue l’acier s’apparente à
l’éducation d’un humain dans la mesure où il n’y a rien de naturel de
l’extraction à la transformation puis à l’usinage du minerai. Comme un adolescent qui aussitôt libéré de
l’emprise parentale va transgresser les principes inculqués, la plaque de tôle
dès que vous la laissez livrée à elle-même va retourner le plus vite possible à
l’état de nature, de minéral, de poussière. Fruit d’un accouplement du feu et de la
pierre le fer essaye en s’oxydant d’oublier le traumatisme fusionnel qui
l’engendra. C’est en rouillant que
la plaque de tôle accomplie sa résilience.
http://www.radio-active.net/podcast_active-193-galerie-15-goulven-Eric-pineau?fbclid=IwAR3rbdYLPReR0WAXonQ_4MA5Ao2upFadGJ_Rz9iw4O74hXLGQo8jbHLigyU
L’enfant roi et l’arbreDebout à bord de l’autobus numéro trois. Un tout petit enfant couché dans son landau me fait face. On se regarde intensément. Il a l’air grave et enjoué d’un demi dieu, sur de lui fier et dominateur. De sa petite main il agrippe le bord de l’oreiller, avec le panache l’élégance et la conviction d’un archevêque maniant sa crosse. D’où tient il une telle prestance, une telle autorité, une telle élégance ? La mère qui veille ne peut voir son rejeton car debout également, elle est positionné de telle façon que la capote du landau fait écran. Tout en bavardant avec une amie elle est attentive aux gazouillements du bébé, aux soubresauts que les mouvements désordonnés du petit corps transmettent par saccades.
L’autobus qui nous transporte relie le Mourillon au quartier des Routes, c’est à dire le bord de mer, les plages, aux contreforts de la montagne qui domine Toulon et que l’on nomme Faron. Etymologiquement, Faron vient de l’égyptien ancien pharaon qui voulait dire lueur, lumière et par extension bien sur, le guide suprême, celui qui par sa grâce et les liens privilégiés qu’il entretient avec les dieux, éclaire son peuple, lui indique la route à suivre. Dans le même registre, Tsar signifie en russe étoile, lumière dans le ciel et Louis quatorze fut souvent qualifié de despote éclairé.
L’enfant dans son berceau me fait penser à un roi tout puissant, débonnaire et redoutable. L’enfant sait, car il vient d’arriver de cet infini qui nous fait peur et où nous retournerons. La capote de la poussette c’est la voûte céleste et la mère attentive et cachée, c’est le dieu invisible partout présent. L’enfant tire son pouvoir de la mystérieuse communication maternelle. Ses yeux semblent me dire : « Tu vois, je suis le maître de l’univers, car elle est là, tout prés. Le ciel, les étoiles, c’est elle. Je n’ai pas besoin de la voir, je n’ai pas peur des ténèbres, car ma lumière c’est elle. Demande moi n’importe quoi, je peux tout pour toi ».
De la même façon que l’enfant régénère la vie grâce au souvenir encore frais chez lui de l’infini d’où il vient et vers lequel nous nous dirigeons, l’arbre régénère la terre. Son tronc est une route par laquelle de haut en bas circule la poésie du cosmos, un savoir infini capté par les plus hautes branches et leurs feuilles. Au niveau du sol, lieu magique où le divin croise le terrestre, le tronc se sépare, se deltaïse en racines, qui comme des chemins vicinaux, des rues, des ruelles, s’en vont tel un orchestre tzigane faire écouter aux entrailles de la terre la musique céleste.
Goulven 2010