samedi 21 septembre 2019

La Résilience du Fer

"Orage D'acier" 2018  

Photo Guy Barsotti

https://chrisrobiglio.com/goulven/


Photo Eric Pineau


Je parle de la psychanalyse du fer car la tôle d’acier me semble être un matériau proche de l’âme humaine. On peut la caresser, la flatter, provoquer en elle une faiblesse, lui imposer une tension, une pression, la tordre, la blesser, la réparer, la polir, la dépolir et en dernier recours la peindre pour cacher sa vraie nature.
La subtile technologie dont est issue l’acier s’apparente à l’éducation d’un humain dans la mesure où il n’y a rien de naturel de l’extraction à la transformation du minerai.  Comme un adolescent qui aussitôt libéré de l’emprise parentale va transgresser les principes inculqués, la plaque de tôle dès que vous la laissez livrée à elle-même va s’oxyder pour retourner le plus vite possible à l’état de nature, de minéral, de poussière. C’est en rouillant que la plaque de tôle accomplie sa résilience.
Fruit d’un accouplement du feu et de la pierre le fer essaye en s’oxydant d’oublier le traumatisme fusionnel qui l’engendra. 
   

                                                             
                                                                              Goulven, à Toulon le 21/09/2019


"Le Rêveur de Navires" Veellage de La-Seyne-sur-Mer, 271 avenue de Bruxelles, La-Seyne-sur-Mer. Photo Eric Pineau


























La pesanteur vaincue par la grâce







https://www.youtube.com/watch?v=9ncwZNtnNfs&t=7s
                                                                      

                                                   L'étoile que danse
                                                      Photo Véronique Roussiaux

                                                                   Photo F. Brugaillère

vendredi 20 septembre 2019

Le philosophe analphabète


Photo Eric Pineau

Photo Eric Pineau

Photo Eric Pineau

Philosophe analphabète

Eté comme hiver il déambule pieds nus, crane rasé, une serviette de bain sur l’épaule et plusieurs livres sous le bras. Une impression de calme, de sérénité mais aussi de vie intérieure intense, émane du personnage. Il pourrait incarner un maitre bouddhiste , un vieux sage, un ascète, un végétarien mystique. Cet homme ne m’a jamais adressé la parole mais je l’ai à maintes reprises aperçu essayant d’entrer en relation avec des quidams qui perplexes semblaient ne pas savoir que lui répondre, comme si la langue dans laquelle il s’exprimait leur était inconnue. Pour le peu que je l’ai entendu, son discours me semble être un monologue décousu à coté de la plaque.
Tous les après midi sur le coup de 16 heures, le curieux personnage pénètre dans une brasserie du centre ville, prend place seul à une table, pose ses livres et commande une bière pression. Il choisit un ouvrage et en commence la lecture à la manière d’un conférencier ou d’un professeur d’université qui va tenter de subjuguer son auditoire. Tandis que la main droite tient le livre, la gauche par ses mouvements réfléchis et pesés appuie les mimiques du visage. L’homme pénétré par sa lecture veut nous faire partager son engouement, son enthousiasme. Encore un fada toulonnais qui se donne en spectacle ? Je ne pense pas. Le Mystère réside dans le fait que si les mains et le visage de l’homme s’expriment avec éloquence, aucun son ne sort de sa bouche. Dans la brasserie, tout le monde semble ignorer cet original qui ne dérange personne car il est très convenable et personne ne se moque de lui. L’autre jour, des touristes anglais lui ont demandé un renseignement et il leur a répondu dans la plus pure langue de Shakespeare ; preuve qu’il ni sourd ni muet. Je sais par ailleurs qu’il parle un italien parfait et bien que lorsqu’il s’exprime dans la langue de Molière son discours soit insaisissable, son élocution fait penser à un universitaire dont aucun accent ne viendrait vulgariser la diction. Si je parle de cet homme c’est parce qu’au fond de moi je ressent la même incompréhension face à mes semblables, la même indifférence face à mon enthousiasme, face à mes engouements. J’éprouve un grand plaisir à parler mais mon discours n’intéresse personne. Quand je dis parler, ça n’est pas parler pour meubler l’espace son, mais parler pour faire saisir à l’autre une réalité qui lui échappe, pour élever sa pensée du particulier à l’universel.  La sculpture est  une élégante façon de contourner l’obstacle qui face à moi se dresse dès que je tente d’utiliser la parole pour exprimer une pensée.
C’est peut-être en ce sens que je rejoins les arts premiers dont les chefs d’œuvres qui nous fascinent furent créés par des hommes ne connaissant pas l’écriture et pour qui la transformation de la matière était le seul moyen de communiquer leurs idées.
Quand j’élabore une sculpture je me met dans la peau d’un orateur muet, d’un philosophe analphabète.

                                                GOULVEN  à  TOULON  Le 20/09/2019
Photo M. Bavoillot
Photo M. Bavoillot